Shigeru est né d'un orgasme que sa mère a eu avec un norvégien en visite au Japon. Charmant, oui, surtout quand on sait qu'elle était déjà mariée et donc en couple avec un homme présent, travailleur, aimant mais ô combien idiot, le parfait salarié japonais en somme. Bref, un couple on-ne-peut-plus normal, le cliché de film dramatique à l'état pur et au beau milieu de ce tableau, une petite tête blonde qui voit le jour. Beaucoup trop blonde pour qu'il y ait le moindre doute, la situation était donc bien clair dès le départ pour tout le monde. Pourtant, en grands courageux qu'ils étaient, ils mirent ce détail de côté et la vie continua ainsi.

Shigeru se révéla être un élève qui n'avait aucune difficulté à s'exprimer et à raisonner. Mais sur papier, c'était un vrai cancre. Il maîtrisait son japonais, bosser avec acharnement ses leçons mais n'obtenait que rarement la moyenne. Une vraie plaie. Cela lui valu de redoubler une classe d'ailleurs. Il avait beau ne pas avoir beaucoup d'amis, voir que des connaissances, il n'empêche qu'il avait une bonne réputation et était même plutôt apprécié. Un peu trop même, dans le genre bonne poire, trop serviable, même si personne n'était jamais assez fou pour lui demander de réaliser un devoir à rendre. Niveau cœur, un peu la même. Shigeru a beau être un dragueur raté un peu trop franc, le peu de copine qu'il a eu, ce fut le temps d'une semaine, même parfois moins. Peut-être en raison de ses comportements lunatiques. Un jour obsédé par une personne, le lendemain avoir oublié qu'il était en couple avec. Sans oublier sa lubie pour les lunettes... Si certains garçons se font gifler pour avoir été surpris en train de mater une jupe trop courte, lui c'était à cause de son regard bien trop étoilé lorsqu'il croisait une binoclarde. Ainsi, son -faux- père a fini par le croire gay et sa mère impuissant. Jolie vie que voilà.

Jusqu'au jour où, en rentrant de cours, d'un énième test qu'il avait probablement raté, Shigeru se fit renverser par un homme qui déboulait en courant d'une ruelle. Le jeune garçon ne prit même pas la peine de hausser la voix pour réclamer un "pardon" et se releva aussitôt, blasé de vivre dans un monde de sauvage, n'ayant pas compris la situation et se faisant à l'idée que la malchance le poursuivait. Or, alors qu'il allait continuer sa route pour rentrer chez lui, il vit clairement dans cette ruelle un corps étendu, à terre. En éternel chevalier servant qu'il était, il courra à la rencontre du blessé et après s'être assuré que ce dernier respirait encore, composa le numéro des urgences. Le blond demeura aux côtés de cet homme durant ces longues minutes, observant avec une curiosité malsaine la plaie qui ne cessait de saigner. Il ne tenta rien pour stopper le saignement, craignant d’aggraver les choses, peut-être que c'est ce qui coûta la vie à cette victime qui cessa de respirer d'un seul coup. Shigeru en resta pétrifié, et ces urgences qui n'arrivaient jamais. Après un long moment, sa tête finit par lui tourner et il mit un premier coup de dent.

"C'était un accident" avait du mal à passer quand on vous avait surpris la main dans le sac en train de goûter à la chair humaine. Oui, il avait commis une faute grave, ne s'en cachait pas mais tentait de faire passer ça pour un geste qu'il n'avait jamais voulu faire. Jusque là, il n'avait jamais songé à manger son voisin de classe après tout, Shigeru ne pouvait être qu'une victime, comme d'habitude. Mais non, en plus de ces faits graves, le jeune homme fut même accusé du meurtre, ça arrangeait tout le monde sauf lui, d'une pierre deux coups. On ne lui conseilla aucun psychologue, non, juste un pensionnat paumé sur une île avec d'autres "personnes à problème"... Autant dire qu'il resta longuement agrippé à la bitte d'amarrage avant qu'on ne le jette dans le bateau.

Une fois ses repères pris, ses craintes furent fondées: cet établissement craignait. Si Shigeru arrivait à remonter ses résultats ici, ça serait un miracle. De plus, se voir à un entretien d'embauche et dire "j'ai étudié sur l'île, Infinite Code" ne lui ouvrirait pas vraiment des portes. L'angoisse. Et encore, si ce n'était que ça... Déjà, le japonais appris qu'il ne fallait pas seulement réussir son parcours scolaire pour partir, ça serait trop facile. Tuer quelqu'un lui semble inconcevable pour le moment, même si cela signifie être celui qui va y passer. Aussi, il a rejoint les North par défaut, ne cherchant pas les ennuis mais un moyen de vite déguerpir.